Présentation

Dans le cadre du Programme ANR Vesuvia, porté par Alexandra Dardenay, équipe Traces, Université de Toulouse Jean Jaurès, s’est mise en place une collaboration avec Archeovision, pour la réalisation d’un modèle 3D de la maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum.
Le triclinium de cette maison a été choisi pour tester la méthodologie de « restauration numérique » des peintures murales. L’objectif étant de redonner à cette pièce ces couleurs d’origine, en y intégrant les effets de matières et d’irrégularité qui procèdent nécessairement d’un travail artisanal, tout en restant dans le champ des connaissances scientifiques que l’on possède.

Maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum, localisation du triclinium 7 © Archéovision/Archéotransfert

Données préalables

Les données préalables sont d’une part les peintures murales in situ ainsi que celles des panneaux conservées au MANN (Musée Archéologique National de Naples), documentées par une série de photographies dont les couleurs sont toutes différentes, les orthophotographies réalisées par Pascal Mora (Archeovision Production), dont la géométrie est exacte, mais dont les couleurs, moyennées, sont en revanche faussées, et d’autre part les restitutions infographiques réalisées par Marie-Laure Maraval et Hélène Eristov (VESUVIA), permettant de localiser chaque élément du décor.

Peinture in situ, mur est du Triclinium. b. Panneau conservé au MANN, Inv. 9224, Hermaphrodite.

Mann Inv. 9041 : comparaison des couleurs entre deux prises de vue.

Restitution infographique des murs sud et est du triclinium 7 à partir des orthophotographies, des peintures in-situ et de celles provenant du MANN (Vesuvia).

Retrouver les couleurs d’origine

Quelles étaient les couleurs d’origine ? Même en étant en face des vestiges réels, définir les couleurs d’origine de ces décors reste problématique. Il faut prendre garde aux altérations, qui vont des simples usures aux modifications de certaines couleurs (par exemple l’ocre jaune qui peut sous l’effet de la chaleur se transformer en ocre rouge), en passant par la présence de mousses vertes ou de dépôts blanchâtres (sels minéraux) à la surface de certaines parois.

Mousses développées à la surface de la paroi est du triclinium 7, en zone inférieure.

Les modifications de la polychromie peuvent aussi être liées à des interventions de restauration. Ainsi le gris qui entoure les niches où étaient peints des atlantes apparaît verdâtre, mais le vernis s’est altéré par plaque, laissant apparaître le gris original par zone.

Panneau conservé au MANN, Inv. 8899. Atlante. Fond gris couvert d'un vernis jaune altéré.

Ailleurs, ce sont des repeints qu’il faut se méfier afin de ne pas les prendre comme couleur de référence.

Panneau conservé au MANN, Inv. 9041. Zone de repeint.

Ce n’est qu’en prenant en considération tous ces éventuels écueils que l’on peut envisager des mesures colorimétriques.

Mesures colorimétriques : 2 méthodes

Une campagne de mesures a pu être mise en place en avril 2017 : deux techniques parallèles ont été mises en œuvre. Des mesures ont été réalisées à l’aide d’un spectocolorimètre (modèle CM2600d/2500d Konica Minolta) grâce à une collaboration avec le CRP2A, et des photographies calibrées ont également été réalisées : les deux techniques ont par la suite pu être comparées.

Colorimétrie par spectrophotométrie en réflectance diffuse portable

Le système permet d’enregistrer divers paramètres comme les coordonnées chromatiques (L*a*b*) ou les spectres de réflectance dont les bandes sont caractéristiques des pigments employés.

Système du CRPAA : marque Minolta CM-2600d, fonctionnant sous illuminant standard D65. Il est doté d’une sphère d’intégration qui offre un éclairage homogène. La calibration du système sur un blanc de référence et un noir permet de s’affranchir des perturbations extérieures. Son domaine spectral est de 400 à 700 nm (360 à 740 nm).

Dans cette étude les coordonnées L, a* et b* représentant respectivement la clarté, la composante chromatique rouge-vert et la composante chromatique jaune-bleu ont été utilisés. Les spectres de réflectance ont aussi été exploités afin d’avoir une idée du pigment employé.

Utilisation du spectrophotomètre dans le tablinum de la maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum.

Mesures réalisées en plusieurs points des parois du triclinium.

Colorimétrie par calibrage photographique

L’appareil utilisé est un Nikon D700, et l’outil de calibrage la charte couleur X.Rite Colorchecker.

Le principe consiste à faire une prise de vue au format RAW en ayant fait une mesure des blancs avec la mire couleur Colochecker placée sur le même plan que le sujet : cette image servira par la suite à créer un profil colorimétrique lié aux conditions de prise de vue. Les prises de vue (toujours au format RAW) doivent ensuite être faites dans les mêmes conditions. Les images sont ensuite traitées en post-production pour être corrigées à partir du profil colorimétrique défini.

Panneau conservé au MANN, Inv. 8835. a. Prise de vue avec mire couleur, avant calibrage. b. Photographie calibrée (M. Mulliez).

Dans le cas des images faites dans les réserves du MANN, les conditions sont telles que l’éclairage ne peut être homogène. En effet, les panneaux, très lourds et impossibles à déplacer, sont disposés sur des étagères inclinées parfois en hauteur, nécessitant une échelle-nacelle pour y accéder. Ainsi, l’éclairage du panneau 8835 provient de l’angle en bas à gauche de l’image.

Comparaison entre les mesures de couleurs effectuées au spectrocolorimètre et à partir de photographies calibrées, MANN Inv. 8835.

La figure ci-dessus présente un comparatif d’échantillons d’aplats colorés dont les couleurs sont définies en utilisant l’outil « pipette » de Photoshop (pour les photographies calibrées) et les mesures L*a*b*, obtenues au même endroit grâce au spectrophotomètre, converties en RVB.

On remarque que dans le coin inférieur droit (surexposé) les couleurs obtenues par la photographies sont plus claires que celles du spectrophotomètre (03, 04, 05, 06, 07) ; celles qui proviennent de la diagonale qui va du haut gauche de l’image jusqu’en bas à droite sont en revanche très proches (01, 02, 08, 09, 10) ; enfin la mesure la plus éloignée de la source lumineuse est très légèrement plus sombre sur l’image que celle obtenue au spectrophotomètre. Cette situation s’explique bien par les conditions de prises de vue. Elles permettent cependant de confirmer que lorsque les conditions d’éclairage sont bonnes, les couleurs d’une photographie calibrée sont fidèles.

On peut donc se fier aux images calibrées : cela offre un avantage non négligeable par rapport aux mesures du spectrophotomètre qui effectuent une moyenne sur une zone de 3 mm de diamètre et donnent donc une couleur uniforme. Or les couleurs des peintures murales sont faites d’une infinité de nuances, nuances qui sont en revanche conservées dans les photographies calibrées.

Cette double méthode de mesures nous a donc permis de confirmer la justesse des couleurs obtenues par photographies calibrées.

Expérimentations

Pour pallier les problèmes d’interprétation liés à l’altération des surfaces peintes dont on ne sait plus toujours quel était l’aspect d’origine, l’expérimentation matérielle permet, dans la mesure où elle est réalisée dans les conditions les plus conformes possibles à l’original, de retrouver les effets de matières que devaient avoir ces décors lorsqu’ils étaient neufs.

Ici, il n’a pas été nécessaire de mettre en œuvre cette phase expérimentale au sein du programme, ayant déjà eu l’occasion de réaliser une fresque expérimentale dans le cadre de l’exposition L’Empire de la Couleur, de Pompéi au Sud des Gaules qui s’est tenue au Musée Saint-Raymond, Musée des Antiques de Toulouse en 2014-2015. Le web-documentaire www.tectoria-romana.com réalisé pendant toutes les phases de recherche, d’expérimentation et de réalisation de la fresque finale constitue, avec les nombreuses photographies issues de ce travail, une précieuse source visuelle. La connaissance matérielle des outils et des gestes ont aussi été très précieux pour la réalisation de la peinture murale numérique du triclinium de la maison de Neptune et Amphitrite.

Détail de la fresque expérimentale réalisée pour le Musée St-Raymond de Toulouse par Aude Aussilloux-Corréa et Maud Mulliez.

Ce détail permet de voir l’aspect de surface des fonds colorés réalisés à fresque ainsi que les effets de matières (opacités, transparence, irrégularités…) des touches de pinceau.

On remarque en particulier l’effet de transparence progressive des touches et un point plus opaque caractéristique du levé de pinceau en fin de tracé (au niveau du blanc par exemple). C’est en reproduisant ces effets que l’on peut donner de la matérialité à la peinture numérique.

Peinture numérique

En utilisant les différentes brosses du logiciel Photoshop et toutes les variations que l’on peut y appliquer, on parvient à rendre des effets similaires aux effets de matière réelle.

Gammes de pinceaux numériques de Photoshop.

Détails de "restauration numérique" du mur est du triclinium de la maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum.

Détails de "restauration numérique" d’une colonne et son chapiteau du mur est du triclinium de la maison de Neptune et Amphitrite à Herculanum.

Cliquez sur l'image ci-dessous pour visiter la maison de Neptune et Amphitrite et sa restauration numérique.
Faites pivoter la vue à l'aide de la souris ou de votre doigt.

Documentation et bibliographie

Base de données DOMVS

Alexandra Dardenay, Agnes Allroggen-Bedel, Hélène Eristov, Marie-Laure Maraval et Nicolas Monteix, « Habitat et société à Herculanum », Chronique des activités archéologiques de l’École française de Rome [En ligne], Les cités vésuviennes, mis en ligne le 15 avril 2015, consulté le 30 janvier 2017. URL : http://cefr.revues.org/1339 ; DOI : 10.4000/cefr.1339.

Aude Aussilloux-Correa, Maud Mulliez (2014) : « Re-création d’une fresque antique : une archéologie expérimentale », in A. Dardenay et P. Capus (éd.), L’Empire de la couleur. De Pompéi au sud des Gaules, catalogue de l’exposition présentée au Musée Saint-Raymond, musée des Antiques de Toulouse du 15 novembre 2014 au 22 mars 2015, Toulouse, 2015, p. 16-23.

WEB-DOCUMENTAIRE réalisé par Benjamin Coulon et le Musée Saint-Raymond, Musée des Antiques de Toulouse : www.tectoria-romana.com







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