Propos

Le sacre et le couronnement d’un roi de France constituaient les cérémonies les plus exceptionnelles de son règne dans la mesure où elles élevaient le monarque au-dessus des courtisans et du peuple en en faisant un personnage sacré et thaumaturge. Le décor éphémère conçu pour cette occasion était de toute splendeur car il devait correspondre à la grandeur de l’événement. Pourtant s’il existe des descriptions, il ne subsiste que de rares représentations graphiques de ces décorations essentiellement composées de textiles (tapisseries, tapis, velours). On dispose de quelques peintures, de dessins et de gravures du sacre et du couronnement de Louis XV, qui se sont déroulés le 25 octobre 1722 dans la cathédrale de Reims. On conserve encore des tapisseries qui étaient tendues dans tout l’intérieur de l’église sur plusieurs niveaux et la musique jouée. Une reconstitution 3D de ce décor, réalisable grâce aux nouvelles technologies, est apparue comme un moyen moderne des plus appropriés pour le restituer, afin d’en montrer les enjeux et mieux saisir l’ambiance créée.

Le sacre et le couronnement de Louis XV

Depuis Clovis, premier roi chrétien, les rois de France ont été sacrés à Reims, à quelques exceptions près. La cérémonie du sacre du jeune Louis XV (1710-1774), alors âgé de 12 ans, s’est déroulée le dimanche 25 octobre 1722, selon un protocole bien défini, établissant la place des personnes, leur rôle dans les solennités et leur costume en fonction de leur qualité, de leur rang dans la société. Le Mercure de novembre 1722 et les diverses relations qui le reprennent font état des fêtes et des cérémonies qui s’étalent sur plusieurs jours. Ils décrivent en premier lieu par le menu la pompeuse succession de rites ponctuant la journée du sacre proprement dite, le lever du roi, l’onction avec l’huile de la Sainte-Ampoule, les serments aux ordres du Saint-Esprit et de Saint-Louis, le couronnement et la remise des insignes royaux, l’intronisation, les offrandes, la messe et le banquet. Elles indiquent en second lieu le rang et l’identité de toutes les personnes présentes et décrivent l’habillement du roi et les costumes des pairs de France, des officiers royaux, des seigneurs et des notables.





Les représentations graphiques du sacre


Trois tableaux de Pierre-Denis Martin, dit Martin le jeune (v. 1663-1742), mais surtout un ensemble de grands dessins de Pierre Dulin (1669-1748) et une série de gravures tirée des dessins constituent des visualisations de cérémonies, alors que les relations ne permettent que de les imaginer. On sait que Dulin avait été envoyé à Reims pour faire des dessins qui devaient servir de modèles à une série de tapisseries, mais si ce projet n’a pas vu le jour, un recueil de gravures, l’Album du sacre, a été réalisé une dizaine d’année plus tard (1732) constituant la mémoire de l’événement. Le lieu, le chœur de la cathédrale de Reims, est clairement identifiable. Les divers points de vue permettent de distinguer le roi, l’archevêque-duc de Reims, Armand-Jules de Rohan-Guémené (1695-1762), et les onze autres pairs de France, les otages de la Sainte-Ampoule, les porteurs des ornements royaux (couronne, sceptre, main de justice et épée dite de Charlemagne), les chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit porteurs des offrandes et les grands officiers de la couronne. La cour et les invités ont pris place dans les tribunes, les princesses dans le bras sud du transept, les princes étrangers dans le bras nord, où le peintre s’est représenté dessinant. La musique est placée derrière le maître-autel. À la représentation des différentes cérémonies ont été ajoutés des tableaux allégoriques qui par le biais d’emblèmes et de devises glorifient le roi de France et la monarchie. D’autres gravures, en grand nombre, ont pour objet les différents habits des participants à la pompe royale. Le roi y apparaît habillé de trois tenues différentes. Les costumes des officiers, des pairs laïcs et ecclésiastiques, du connétable, du chancelier, du grand chambellan, jusqu’à ceux des gardes suisses et de la prévôté de l’hôtel du roi sont tous décrits et illustrés avec une extrême précision. La finalité de l’Album du sacre est de conserver la mémoire de ces cérémonies des plus prestigieuses du règne, de les visualiser, car paradoxalement on ne possède que très peu de représentation des précédents sacres. Il ne subsiste que trois gravures et une tapisserie du sacre de Louis XIV. Une tapisserie représentant le sacre d’Henri III a disparu.



Pierre-Denis Martin, dit Martin le jeune, le Sacre de Louis XV. 0,314 m x 0,429. Versailles, Musée national du château (MV2198)



Pierre Dulin, le Couronnement du roi (6e tableau). Dessin, 0,428 m x 0,72. Paris, Musée du Louvre (Album du Sacre, fol. 12 INV 26315, Recto)



La Cérémonie des Offrandes (8e tableau). Gravure d’après Dulin par Louis Desplaces, 0,53 m x 0,81. Paris, Musée du Louvre (inv 26321.1, Recto)

Un décor de toute splendeur

Les relations ne s’étendent pas sur ce point, elles indiquent simplement que l’intérieur de la cathédrale était orné de superbes tapisseries, de tapis, de lustres, de girandoles et de bras de lumière fournis par le Garde-meuble de la Couronne et transportés pour l’occasion de Paris à Reims. Les tableaux et les dessins quant-à-eux permettent de se rendre compte de la splendeur du décor textile éphémère réalisé. Le sacre et le couronnement comptent parmi les cérémonies pour lesquelles on a utilisé quantité de tissus. Des tapisseries de la couronne, des draps de velours bleu fleurdelisé, des tissus d’or et d’argent rehaussés de broderie, des tapis de la Savonnerie et d’Orient recouvrent tous les murs et le sol de l’église, constituant ainsi un somptueux écrin à l’instar des voiles de broderie qui garnissaient l’intérieur du tabernacle de l’Arche l’Alliance de l’Ancien Testament (Exode, 35-40), un des textes fondateurs de l’histoire des textiles. La confrontation des textes et des représentations visuelles a permis de vérifier la fiabilité des sources quant au déroulement des cérémonies. La comparaison entre les peintures et les dessins permet de dire qu’elles en restituent l’esprit et l’ambiance.

La reconstitution 3D

Les peintures et les dessins sont des représentations, qui offrent des variations dans le choix des angles de vues. Certains sont des vues rapprochées des cérémonies D’autres, réalisés depuis les tribunes, tendent à donner de l’ampleur au cadre des cérémonies. La description du décor intérieur est d’une grande minutie et permet d’identifier la plupart des tapisseries figurées dans les dessins. Mais attention, il ne s’agit pas de croire que la restitution des tapisseries dans les dessins est fidèle au décor qui avait été réalisé, elle en reflète l’esprit et le sens : elle montre un splendide décor créé pour une occasion exceptionnelle ; en matière d’iconographie royale, rien n’est laissé au hasard : les tapisseries exposées pour cet événement étaient considérées comme les plus belles tentures de la Couronne : l’Histoire d’Alexandre et l’Histoire du roi de Le Brun, l’Histoire de Moïse de Poussin et Le Brun, les Actes des Apôtres et les Chambres du Vatican de Raphaël, l’Histoire de Scipion de Giulio Romano et l’Histoire de Constantin de Rubens. La reconstitution 3D recrée l’espace resserré du chœur de la cathédrale, elle en restitue l’ambiance créée par l’utilisation de quantité de textiles chauds et colorés, et mis en valeur par l’éclairage obtenu certes par la lumière entrant par les fenêtres hautes de l’église, mais aussi à l’aide des bougies des lustres, des girandoles et des bras de lumière mentionnées dans les textes et que soulignent des rehauts de blanc dans les dessins.

Orientation bibliographique

Sur le sacre des rois de France et sur celui de Louis XV:

- Théodore et Denis Godefroy, Le cérémonial françois, Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1649.
- Marc Bloch, Les Rois thaumaturges, Paris, Gallimard, 1924.
- Joël Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, Payot, 1993.
- Bernard Hours, Louis XV. Un portrait, Paris, Privat, 2009.
- Thierry Jordan (éd.), La grâce d’une cathédrale. Reims, Strasbourg, La Nuée bleue, 2010.

Sur l’album du sacre:

- Simone Loudet, « Le livre du sacre de Louis XV », Gazette des Beaux-Arts, 57 (févr. 1961), p. 105-116.

Sur les tapisseries du sacre:

- Chantal Gastinet-Coural, « Les tapisseries du sacre : le voyage à Reims », L'Estampille/L'Objet d'art, 320 (janvier 1998), p. 54-82.

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